Au-delà de l’effet de mode, les récentes grèves dans les transports publics qui ont paralysé plusieurs villes en France, et Paris en particulier, ont favorisé leur utilisation et provoqué une véritable explosion de ce nouveau marché. Désormais, on compte 1,5 million de personnes séduites par ce nouveau mode de transports urbains, soit 3 % de la population française.
La micro-mobilité est un nouveau marché qui est parvenu à attirer et à fidéliser rapidement une solide clientèle. Ce phénomène est pour l’essentiel dû aux offres pléthoriques de micro-mobilité faites par différents opérateurs (ainsi on compte déjà 13 marques différentes à Paris, Lime et Bird étant les 2 premiers opérateurs de trottinettes électriques, et près de 20 000 trottinettes électriques).
Ces offres se sont propagées dans des milieux urbains particulièrement favorables. La mobilité partagée n’y est, en effet, pas une nouveauté car elle était d’ores et déjà pratiquée antérieurement avec l’autopartage, le covoiturage ou les vélos en libre-service. Ainsi, la pénétration du marché s’est faite en 5 mois pour l’opérateur Lime contre 18 mois pour Uber ou Cityscoot.
Il est vrai qu’elle apporte à ceux qui l’ont adoptée :
- Un gain de temps apprécié dans leurs déplacements quotidiens,
- Un sentiment de liberté grâce à un voyage réalisé en plein air,
- L’absence de contraintes en cas d’embouteillages car il est facile de se faufiler partout
- Et une totale indépendance vis-à-vis d’autres modes rendus inaccessibles en cas de grèves.
3 scénarios d'évolution analysés par McKinsey
Le cabinet de conseil McKinsey, classé parmi les 50 meilleurs cabinets mondiaux, a réalisé en 2019 une étude prospective sur l’évolution de la micro-mobilité avec une modélisation concernant 3 scénarios différenciés.
Scénario n° 1 : Ce scénario est plutôt pessimiste car il envisage la micro-mobilité partagée comme un phénomène de niche, c’est-à-dire avec une offre restreinte et un usage plutôt limité aux visites touristiques ou au fun.
Scénario n° 2 : Il s’agit d’un scénario moyen qui considère la micro-mobilité comme un mode de substitution à la voiture particulière pour tous les déplacements quotidiens en ville et particulièrement pour le 1er et le dernier kilomètre.
Scénario n° 3 : Ce scénario est présenté comme un scénario de rupture dans lequel les villes jouent un rôle prépondérant dans la mesure où elles décident d’investir massivement dans des infrastructures de micro-mobilité privées et partagées.
Pour sa modélisation, McKinsey a choisi, à titre d’exercice, la ville de Munich où les déplacements se répartissent entre la voiture particulière en position dominante avec 60 % du marché et les transports en commun avec 40 %. Ainsi, en relation avec 6 fournisseurs, 2 000 trottinettes électriques ont parcouru les rues de Munich pendant 100 jours pour une moyenne de 5,5 trajets par jour sur une distance de 2 km.
Concernant le scénario n° 2, la modélisation donne comme résultat environ 250 millions de déplacements en micro-mobilité partagée à l’horizon 2030, soit 8 à 10 % de tous les déplacements à Munich, c’est-à-dire 5 fois plus que pour le scénario n° 1. Quant au scénario n° 3, il permettrait d’aboutir à plus de 15 % de tous les déplacements en 2030, ce qui réduirait de manière significative les congestions actuelles liées à la voiture particulière.
Ce dernier scénario nécessiterait de s’appuyer sur de solides partenariats publics/privés et sur un environnement réglementaire pour favoriser l’usage de la micro-mobilité.
Un marché conséquent, mais pas encore rentable
Le marché mondial tel qu’il s’annonce est estimé à environ 50 milliards d’euros en 2025 (dont 12 à 15 rien que pour l’Europe), soit 15 % du marché global de la mobilité motorisée à la demande. Il bénéficie de conditions particulièrement favorables liées à la convergence de 4 tendances :
- L’économie du partage (préférée à la propriété individuelle)
- Le développement de la mobilité électrique (avec une amélioration des technologies)
- La forte présence de l’IOT (avec des capteurs embarqués générant des data exploitables)
- Le facteur politique et social (pour la réduction des émissions de CO² et de la pollution).
Les forces du changement sont quant à elles d’ordre juridique et réglementaire (voir sur ce sujet la loi LOM votée le 19 décembre 2019), mais elles tiennent aussi compte de l’évolution des préférences des consommateurs qui font pression sur les pouvoirs publics pour changer la donne ainsi que de la nécessité d’une transition écologique en faveur d’une consommation plus durable.
Pour les opérateurs, l’acquisition de trottinettes électriques (coût unitaire entre 800 et 1 200 €) s’avère bien moins onéreuse que celle de tout autre type de véhicule. Cependant, la rentabilité n’est pas encore au rendez-vous : elle ne peut être atteinte qu’au bout de 3,8 mois alors que la durée de vie d’une trottinette électrique est estimée à 3 mois et la guerre des prix entre opérateurs du fait du potentiel de ce marché ne vient pas arranger les choses.
Les prochains mois devraient montrer les signes d’une consolidation du marché avec des couvertures territoriales différentes selon les opérateurs. L’intégration de l’offre de micro-mobilité dans une plateforme MaaS (Mobility as a Service) pourrait aussi constituer un autre élément de différenciation.
Contre l'invasion de l'espace public
L’occupation de l’espace urbain et péri-urbain par une micro-mobilité exacerbée pose différents problèmes que les villes tentent de résoudre, notamment en obligeant les opérateurs à soumettre leurs services de free-floating (trottinettes, vélos, scooters) à un régime d’autorisation préalable.
Concernant Paris, plusieurs opérateurs de trottinettes électriques en libre-service ont accepté de signer une Charte de bonne conduite avec la Ville qui fixe les règles à observer, à savoir :
- Proposer aux utilisateurs des véhicules fiables, sécurisés et de qualité selon les normes françaises et européennes
- Assurer la sécurité des usagers en exigeant une attestation de majorité et le port d’un casque et celle des piétons en ne circulant pas sur les trottoirs
- Autoriser la dépose et la charge électrique des véhicules sur des zones spécifiquement dédiées qui ne gênent pas la circulation piétonne sous peine de verbalisation, voire de mise en fourrière
- Rendre possible le signalement de tout véhicule mal stationné, abandonné ou endommagé via l’application de l’opérateur ou via l’application « DansMaRue » avec obligation pour l’opérateur de régler le problème dans les 12 heures qui suivent
- Respecter la réglementation sur la protection des données personnelles et mettre gracieusement à la disposition de la Ville les données concernant le déploiement et l’usage du service.
Si la micro-mobilité provoque actuellement autant de débats, c’est sans doute parce qu’elle est la dernière-née de la mobilité urbaine et que rien n’a été encore vraiment pensé en matière réglementaire pour son intégration dans l’offre multimodale.
Elle présente une alternative attractive par rapport aux modes classiques surchargés, inconfortables, contraignants ou indisponibles en cas de grèves. Imbattable et très pratique sur de courtes distances, elle a acquis ses titres de noblesse et donne l’opportunité à ses utilisateurs de s’engager comme citoyens vers des mobilités douces et respectueuses de leur environnement et de leur santé.