Reconnaissance faciale d'IDEMIA
L'émergence des technologies biométriques relance le sujet en ouvrant une voie totalement nouvelle qui fait appel à la reconnaissance faciale. Celle-ci permet d'identifier un individu en le filmant avec une caméra équipée d'un dispositif d'Intelligence Artificielle pour analyser les traits d'un visage en fonction de ses caractéristiques physiques (écartement des yeux, espacement des oreilles, position de la bouche, arêtes du nez, commissures des lèvres...) et ensuite lui associer une identité (authentification).
La Chine a pris une avance tout à fait déterminante dans ce domaine et elle utilise cette technologie massivement grâce au déploiement de 300 millions de caméras intelligentes sur son territoire d’ici fin 2020. Celles-ci sont utilisées pour analyser et surveiller le comportement des personnes qui passent dans les lieux publics, pour repérer des criminels recherchés, mais aussi pour fluidifier l’embarquement des passagers dans les aéroports et le checking dans les hôtels.
Depuis peu, il est aussi devenu obligatoire de passer devant une de ces caméras pour se voir attribuer une ligne de téléphone mobile : les autorités peuvent ainsi associer des communications à une identité authentifiée. Une faculté chinoise a initié quant à elle une utilisation toute particulière : la caméra placée dans les amphis permet d’identifier les étudiants qui assistent aux cours, parmi les présents de repérer ceux qui ne sont pas attentifs et de connaître par déduction ceux qui sont absents.
On imagine aisément les usages qu’un gouvernement autoritaire peut faire de cette technologie et des développements encore plus avancés qu’il peut engager tels que la possibilité de lire sur les lèvres les échanges interpersonnels et de les transcrire automatiquement ou d’identifier les conducteurs garés en infraction pour dresser automatiquement un PV.
HUAWEI, le géant industriel chinois, exporte aujourd’hui sa technologie un peu partout dans le monde et a équipé à ce jour plus de 200 villes. Le Japon, les Etats-Unis, Israël, la Russie et la France, même s’ils disposent d’une offre technologique similaire, ne sont clairement pas les leaders du marché de la reconnaissance faciale qui est très dynamique et bénéficie d’une progression annuelle de l’ordre de 20 %.
La Fondation Carnegie estime quant à elle que 75 pays dans le monde utilisent déjà la reconnaissance faciale à des fins de surveillance et que 63 d’entre eux sont totalement ou en partie équipés de la technologie chinoise. Cela donne à la Chine la possibilité de décrocher des contrats très rentables, mais également d’avoir accès à des bases de données conséquentes sur les visages et par là même d’améliorer l’apprentissage automatique de sa reconnaissance faciale par le Deep Learning et de rendre ainsi ses algorithmes encore plus performants.
Pour conserver son avance au regard de ce qui constitue pour elle une arme politique et industrielle, la Chine continue sa recherche et développement en la matière et travaille sur la possibilité d’authentifier les individus en analysant leur seule démarche afin de les identifier même si le visage est caché.
Ces technologies fascinent autant qu’elles effraient et c’est bien normal car elles apportent à la fois des pistes prometteuses, notamment dans la lutte contre le terrorisme, mais elles questionnent tout autant sur le respect des libertés individuelles fondamentales et de la protection des données personnelles.
Analyse de quelques cas d'usage en France
Face à cette approche Big Brother des temps modernes, la France a adopté une démarche plus respectueuse des libertés individuelles, encadrée à la fois par le RGPD et surveillée par la CNIL. L’identification via une application grâce à la reconnaissance faciale pourrait ainsi permettre d’accéder directement à certains sites administratifs ou à plus de 500 services publics (portail des impôts, CAF, Caisse des Dépôts...) en utilisant la caméra de son smartphone au lieu de devoir saisir son identifiant et son mot de passe. Il s’agit du programme ALICEM (Authentification en Ligne Certifiée sur Mobile).
Nice a été la première ville française fin 2018 à expérimenter, avec l’accord de la CNIL et sous réserve du consentement des personnes concernées, la reconnaissance faciale pour le contrôle d’accès à 2 des classes du lycée des Eucalyptus grâce à l’installation de portiques à reconnaissance faciale. L’objectif consistait à faciliter et à réduire la durée des contrôles d’entrée/sortie des élèves habituellement réalisés par les agents assurant l’accueil, mais également de lutter contre l’usurpation d’identité et contre l’accès à l’établissement par des personnes non autorisées. Le même dispositif a été testé à Marseille par la suite. L’expérimentation a cependant à l’époque soulevé des objections de la part de la FCE (parents d’élèves) et de certains syndicats d’enseignants.
La reconnaissance faciale est aussi utilisée à la Gare du Nord à Paris depuis 2017 pour passer la douane quand on prend l’Eurostar. La première étape consiste à « capturer une référence », c’est-à-dire une photo qui va servir d’identité pour la personne concernée. Stockée dans une base de données, elle permettra de réaliser des comparaisons ultérieurement au passage des lignes de contrôle.
Dans les aéroports de Paris, la reconnaissance faciale est utilisée depuis l’été 2018 pour accélérer l'identification des passagers lors de l'enregistrement des bagages et de l'embarquement alors que cette technologie était surtout utilisée pour le contrôle aux frontières. Elle permet de réduire le temps d’attente devenu très important du fait de l’enregistrement et des contrôles de sécurité. 2 compagnies aériennes dont Air France vont proposer ce nouveau service aux passagers de 3 vols réguliers européens en moyen-courrier en 2020.
Au moment de l’enregistrement de leurs bagages et de l’embarquement, les passagers devront s’identifier sur une borne spécifique qui scannera leur visage pour l’authentification de leur identité. Dans ce cas aussi, la CNIL a donné son accord sous réserve que la collecte des données biométriques fasse l’objet d’un consentement explicite des passagers. Les données enregistrées ne seront pas conservées, elles seront détruites dès le décollage de l’avion et ne pourront pas être utilisées à des fins commerciales ou être croisées avec d’autres fichiers.
Reconnaissance faciale et billettique
Valérie Pécresse, la Présidente de la Région Île-de-France, envisage d’expérimenter la reconnaissance faciale dans le métro, le RER ou les trains de banlieue. Si l’objectif clairement visé concerne la sécurisation des transports publics à l’identique de ce qui se passe déjà dans les transports aériens, l’usage pourrait être étendu à la télébillettique pour aller un cran plus loin dans la dématérialisation des titres de transport.
Rappelons, en effet, que pour utiliser les transports en commun il est nécessaire d’être muni d’un titre de transport et de le valider aux lignes de contrôle pour accéder aux transports et parfois aussi de le présenter à la sortie de la station ou de la gare au lecteur destiné à cet effet.
Or, les supports actuels qu’ils soient papier, ticket magnétique, passe, téléphone ou carte bancaire sans contact constituent autant de barrières qu’elles soient de nature sociale (tout le monde ne possède pas un téléphone mobile ou une carte bancaire) ou de nature technologique (les personnes âgées peuvent éprouver des difficultés à utiliser un smartphone ou tous les téléphones ne sont pas compatibles avec l’application déployée) ou de nature expérientielle (il faut à chaque voyage présenter le titre de transport ou le support qui le contient physiquement à l’entrée et parfois à la sortie).
Les systèmes billettiques les plus anciens utilisent le ticket papier à bande magnétique ou la carte à puce et sont dits « Card Centric » parce que les informations relatives au voyage sont stockées dans le support. Ces systèmes fonctionnent en boucle fermée et le support tarifaire est fourni par l’opérateur de transport. Ils sont organisés en 3 niveaux : le support et les lecteurs, le local et le Back Office centralisateur.
De nouveaux systèmes faisant intervenir les télécommunications sont apparus depuis et permettent aux voyageurs d’utiliser des cartes bancaires sans contact, des téléphones mobile, des appareils portables et d’autres identifiants pour voyager. Ces systèmes fonctionnent en boucle ouverte et s’appuient sur des comptes utilisateurs localisés dans un Back Office souvent gérés à partir du cloud pour appliquer les règles commerciales pertinentes, déterminer le tarif applicable et régler la transaction au meilleur prix pour le voyageur.
Ces systèmes billettiques qu’on appelle « Account Based Ticketing » permettent aux voyageurs de se déplacer d’un point A à un point B sans avoir à acheter préalablement un ticket. De plus, le coût des trajets est calculé automatiquement en fonction du nombre de validations ou de scans réalisés en tenant compte du lieu où se trouve le voyageur.
L’utilisation de la reconnaissance faciale couplée à l’Account Based Ticketing permettrait quant à elle de s’abstraire de la contrainte de tout support avec une accessibilité maximale à tout type d’utilisateur et sans barrière technologique et de gagner en fluidité au passage des lignes de contrôle. Cela changerait significativement l’expérience client et favoriserait le déploiement d’une billettique digitalisée et unifiée accessible à partir d’une plateforme multimodale intégrée (de type MAAS : Mobility As A Service).
La reconnaissance faciale revient de plus en plus fréquemment dans les débats publics aussi bien au niveau national qu’aux niveaux européen et mondial. Le sujet ne pourra pas être éternellement mis de côté. Cela implique qu’à la suite d’un débat proactif et prospectif, une décision d’ordre politique soit prise d’autant que les questions de choix de société auxquelles la reconnaissance faciale renvoie et l’évaluation des risques technologiques, éthiques, sociétaux liés à cette technologie font peser des risques importants sur les libertés fondamentales des individus et sur la place de l’humain à l’ère numérique.