Carlo Ratti, professeur au MIT et également ingénieur, concepteur et directeur du Senseable City Lab de cette grande école, a observé les changements tant techniques que sociaux survenus dans plusieurs villes internationales par le fait de l’arrivée de la technologie. Ces changements occasionneront une transformation radicale de la fabrique urbaine, selon lui. Dans son nouveau livre intitulé : « The City of Tomorrow : Sensors, Networks, Hackers and the Future of Urban Life », il explique à quoi pourrait ressembler la vie dans nos futures métropoles en s’appuyant sur des expériences actuellement en cours concernant le transport, l’architecture et la technologie. Il aborde également de nouvelles façons de penser l’arrivée des Smart Cities.
Comment s’y prendre pour tester et encourager l’innovation afin de développer la Smart City ?
Les villes telles que nous les connaissons jusqu’à présent sont en train d’évoluer pour devenir quelque chose de totalement différent. Confrontées à de multiples enjeux, elles doivent opérer leur transformation et, pour ce faire, favoriser l’expérimentation de nouvelles choses afin d’en retirer de l’expérience et d’en acquérir un savoir-faire à partager avec d’autres villes. Il convient cependant de s’appuyer autant sur la science que sur le design pour définir, sous la forme d’un projet visionnaire, ce qu’elles pourraient être dans le futur.
On ne peut vraiment pas dire qu’une ville dans le monde retienne plus particulièrement l’attention en matière de tests et d’encouragement de l’innovation pour aboutir à une Smart City. En effet, de nombreuses villes ont entrepris ces nouvelles évolutions et, parmi elles, on peut citer Singapour pour la mobilité, Copenhague pour le développement durable et Boston pour la participation citoyenne. En observant leurs réalisations respectives, comment elles s’y sont prises pour les mettre en œuvre et les résultats qu’elles ont obtenus, on peut d’ores et déjà tirer des enseignements intéressants permettant de les transposer dans nos propres villes.
Les villes sont de plus en plus connectées et génèrent une incroyable quantité de données qui concernent la manière dont les gens vivent au quotidien, leurs habitudes, leurs comportements... Que faisons-nous aujourd’hui pour que ces données soient utiles et ouvertes tout en protégeant la vie privée des citoyens ?
Dans de très nombreux cas, l’Open Data d’origine publique est une très bonne chose quand elle permet, par exemple, de géolocaliser le positionnement des transports publics, donne accès à des APIs et qu’avec ces données, les citoyens créent des applications qui facilitent et améliorent l’organisation du transport local.
Citons, en premier lieu, l’expérimentation « HubCab » réalisée par le MIT Senseable Lab qui se présente sous la forme d’une carte interactive. Elle a nécessité au préalable l’enregistrement de plus de 170 millions de voyages réalisés par environ 13 500 taxis dans la ville New York en 2011. La carte qui en résulte montre comment et quand les taxis prennent et déposent leurs clients tout au long de la journée en affichant en surbrillance les zones de ramassage et de dépôt les plus fréquentées dans la ville. La carte a également conduit à développer le concept de « réseaux partageables » qui, modélisés efficacement, optimisent les occasions de partager des voyages entre clients (approche covoiturage en taxi). Indépendamment de l’avantage de bénéficier d’une économie au niveau du prix du voyage (celui-ci étant partagé par plusieurs clients), le nombre de kilomètres parcourus par les taxis est moindre, ce qui réduit d’autant les émissions de CO2. Tout cela contribue à diminuer la pollution et les embouteillages en ville.
Pour autant, d’autres sources d’information comme, par exemple, les données issues du téléphone portable ou des cartes bancaires ne seront pas ouvertes au public en l’état, elles devront être préalablement anonymisées, c’est-à-dire rendues non identifiables par rapport à un utilisateur donné à la suite d’un traitement informatique. C’est le cas de Flux Vision proposé par Orange Business Services.
Autre sujet : comment faire en sorte que les bâtiments deviennent plus réactifs et intelligents ? Nos villes sont restées sensiblement les mêmes depuis leur création et si transformation il y a, elle viendra plutôt des interactions des gens avec les lieux où ils vivent. A titre d’exemple, le projet exposé au cours de la World Expo à Saragosse en Espagne. Sous le nom de Pavillon d’eau numérique, il présente une vision d’architecture numérique liquide assez innovante et qui pourrait encore être améliorée en y intégrant des jeux de lumière interactifs et de la technologie sensible.
La ville de Melbourne a choisi quant à elle de développer un IoT particulier, « l’Internet des arbres » en attribuant un identifiant et une adresse mail à chaque arbre planté sur son territoire, dressant par la même occasion une carte de sa forêt urbaine. Au départ, il s’agissait de permettre à tout citoyen de signaler un problème relatif à un arbre de son quartier (par exemple : une branche sur le point de tomber). Mais les habitants de Melbourne se sont rapidement emparés de ce sujet pour le détourner sous une forme plus poétique. Ils se sont mis à adresser des lettres de remerciement, d’amour et des plaintes aux arbres de leur quartier. Tout ce qui est ainsi remonté à la ville par la communauté traduit désormais, mieux qu’un banal rapport, le ressenti des citoyens au quotidien et permet de lancer les actions appropriées.
Travailler sur l’optimisation des infrastructures routières constitue une autre voie d’innovation. Comment pourrait-on ainsi mieux utiliser la ville tout en gâchant moins ses ressources ? Si la ville du 20e siècle se caractérisait par son gaspillage à tout va, qu’en sera-t-il de la ville du futur ? Nous permettra-t-elle de mieux partager les choses, l’espace et de les utiliser plus efficacement ? Le véhicule autonome dont on parle tant actuellement est sans doute l’une des pistes les plus prometteuses. Au-delà du partage d’un moyen d’assurer notre mobilité en ville sans pour autant posséder de véhicule ni devoir passer un permis de conduire, il va favoriser les connexions entre citoyens et changer le paysage urbain. Ainsi, les feux de circulation ne seront plus nécessaires pour réguler les flux de véhicules du fait des nombreux capteurs embarqués et des infrastructures intelligentes installées sur les routes et aux croisements, ni même les places de stationnement qui diminueront de manière très conséquente, faisant par là même également disparaître une source de revenus pour la collectivité.
Comme on le voit ici, la technologie pour la technologie n’a pas nécessairement de sens. Elle doit, au contraire, être utilisée pour améliorer le bien-être, le confort et la sécurité des citoyens. Le temps est venu où il convient de s’intéresser à ce qui se passe ailleurs pour s’en inspirer et d’expérimenter chez soi de nouvelles pistes pour acquérir de l’expérience et prendre les bonnes décisions afin de choisir les postes d’investissement à privilégier. Dans le cas contraire, les solutions seront imposées de l’extérieur sans que nous ne les maîtrisions aucunement au plus grand dam des communautés humaines que nous gérons.
Cet article de DIGINOVE Consulting est également paru dans la Lettre hebdomadaire des TIC distribuée par notre partenaire, la Mission ECOTER, à ses adhérents.